Hubert Joly


A la recherche des carabes


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À la recherche des carabes

Ces temps derniers, à l'occasion de la panthéonisation de Maurice Genevoix, j'ai relu son ouvrage Ceux de 14 qui m'a conduit en beaucoup d'endroits que je connaissais par cœur puisque notre ancienne maison de famille se trouvait à Watronville, non loin des Eparges.

Cela a remué en moi de vieux et minuscules souvenirs qui remontent à l'époque où j'avais une dizaine d'années. A cette époque, mon père occupait de 1943 à 1949, à l'Ecole forestière de Nancy, le poste de Responsable des places d'expérience de ladite école dans toute la France. Il s'agissait d'un réseau de parcelles forestières où l'on étudiait le comportement des différentes essences forestières afin d'en tirer des enseignements pour améliorer la productivité des forêts françaises.

Après avoir été d'abord assistant du professeur d'hydrobiologie de l'École qui possédait une station sur les bord du lac du Bourget à Aix-les-Bains, il avait été forestier dans les Vosges entre 1938 et 1943 et à partir de 1949 avait été nommé titulaire de la chaire de zoologie de l'Ecole.

Passionné de sciences naturelles depuis son enfance, mon père avait un vieil ami, René Lienhardt qui habitait à Nancy, rue Isabey, et était apparenté au peintre Eugène Feyen. Ce vénérable barbu était un généticien de l'époque où l'ADN était encore complètement inconnu et, tel Mendel avec ses petits pois, s'occupait à croiser des canards.

Il s'était pris d'amitié pour mon père et tous deux profitaient des tournées forestières de ce dernier pour récolter des insectes et parmi eux des carabes. Il m'arrivait assez souvent de les accompagner.

Je me rappelle une expédition près de Clermont-en-Argonne, commune totalement détruite pas la guerre de 14, dans la forêt de la Controlerie où nous étions partis chasser le carabe intricatus. A cette occasion, nous avions été reçus chez le garde ou brigadier forestier de Futeau où j'ai mangé le meilleur confit de sanglier de ma vie…

Une autre fois, c'est en Alsace, aux environs d'Oberhaslach que nous étions allés à la recherche d'une rareté, le carabe variolosus. Nous avions passé la journée à gratter dans les souches  à demi-pourries sans rien trouver lorsqu'à la tombée du soir j'eus enfin la chance d'en trouver un. Je me souviens que je fus très dépité lorsque mon père fit cadeau de ce très précieux insecte à son ami. Ce dernier, en revanche, avait trouvé une salamandre, la première que j'ai vue, mais qui ne crachait pas le feu comme celles de François Ier. L'urodèle trouva le moyen de s'échapper de la boite où elle avait été remisée… Cette fois, nous passâmes la nuit à Oberhaslach dans une maison forestière qui avait été un ancien pavillon de chasse de Guillaume II. Peu de choses avaient changé depuis 1918. Il y a avait encore un grand lustres fait de bois de cerfs et les faïences avaient été humectées par les lèvres impériales. Lorsque je repassai une vingtaine d'années plus tard, cette superbe maison était à moitié à l'abandon.

Encore un tout petit souvenir. J'ai accompagné mon père plusieurs fois en forêt de Haye près de Nancy, plus exactement dans les Fonds de Toul. J'en profitais pour apprendre les noms des végétaux locaux mais j'ai gardé le souvenir que mon père cueillait pour ma mère de somptueux bouquets de fusain d'Europe ou bonnet d'évêque. Avec leurs petites barrettes roses et leur cupule centrale orange, tout poudrés de givre, ils étaient dans leur simplicité une des plus superbes décorations que j'ai jamais vues.

Voici quelques infimes témoignages des années 1945-1947 qui feront sourire mais, si je puis me vanter de quelque chose, c'est d'être aujourd'hui l'un des rarissimes français vivants à avoir côtoyé un carabus variolosus. Ce que c'est que la gloire…

Hubert JOLY

28 novembre 2020