Hubert Joly


L'aquarium du Lac du Bourget à Aix les Bains

Hubert JOLY


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CONTRIBUTION A L’HISTOIRE DE l’AQUARIUM D’AIX-LES-BAINS

L’actuel aquarium d’Aix-Les-Bains, au Petit-Port, sur les bords du lac du Bourget, a d’abord été conçu comme une Station d’études et de recherches hydrobiologiques de l’Ecole nationale des Eaux et Forêts de Nancy, dépendant de la chaire de Zoologie de cette école.

A la suite d’un accord conclu, vraisemblablement en 1930, la ville d’Aix-Les-Bains a concédé gratuitement (ou pour un franc symbolique) le terrain sur lequel devait être construite la station, à la condition que cette dernière comporterait également un aquarium ouvert au public et destiné aux curistes en mal de distractions.

Le fondateur de l’établissement était le professeur de zoologie de ladite école des Eaux et Forêts, M. Hubault. Il en fut le responsable de 1932 à 1948.

L’établissement comportant deux étages dont un semi enterré était divisé en quatre parties : au sous-sol, l’aquarium et un établissement de pisciculture, au rez-de-chaussée surélevé, des laboratoires et une bibliothèque d’un coté, une dizaine de chambres pour chercheurs et stagiaires de l’autre.

J’ai bien connu le fonctionnement de l’établissement, mon père, Raymond Joly, ayant été titulaire de la chaire de zoologie de l’Ecole des Eaux-et-Forêts de Nancy de 1949 à 1976 et ayant dirigé la station d’hydrobiologie d’Aix-Les-Bains pendant cette période.

Lui-même avait du reste été en 1937-1938 assistant de M. Hubault et, à ce titre, il avait séjourné à Aix-Les-Bains avec son patron, tandis que nous habitions Tresserve et que, âgé de 18 mois, je mangeais, parait-il, des filets de poisson-chat du lac... De cette période, mon père racontait qu’il avait fait des expéditions hydrobiologiques avec M. Hubault au lac de Tignes mais aussi au lac de la Sassière de l’autre côté de la vallée de l’Isère, où l’on ne pouvait à l’époque monter qu’avec des mulets transportant le matériel. (On en trouve aujourd’hui les photos sur Internet).

Lorsque je découvris au début du mois d’août 1949 la station d’hydrobiologie, elle était habitée par un garde des Eaux-et-Forêts, M. Lavillat, originaire de Faverges, qui résidait sur place avec sa femme et ses deux filles, Josette et Béatrice. L’établissement était doté d’une camionnette Renault datant d’avant la guerre ainsi que d’une grande barque équipée d’un moteur.

Cette année-là, la sécheresse avait fait baisser le niveau du lac comme je ne l’ai plus jamais revu depuis.  Nous allions nous baigner en barque à une centaine de mètres au large de la route de Chambéry en face d’un hangar à bateaux appelé le Rowing. Les fonds étaient d’environ 3 mètres. Au milieu des nénuphars et des nymphéas ou des potamots, on voyait très bien les boules formées par les alevins de poissons-chats. Plus près du bord, on pouvait marcher sur les débris des palafites qui n’étaient pas éloignés du rivage.

Mon père avait entrepris une étude systématique des caractéristiques physiques et biologiques du lac. Je l’accompagnais fréquemment pour faire des prélèvements d’eau dans les différentes parties du lac et à différentes profondeurs. De même, nous pêchions le plancton animal et végétal avec des filets de maillage différent. Rentré au laboratoire, j’avais appris à utiliser le photomètre pour doser l’oxygène, pendant que mon père examinait ses captures à la loupe binoculaire ou au microscope.

Un autre aspect des activités était directement en rapport avec l’aquarium. Mon frère Marc, de deux ans moins âgé que moi, était un pêcheur enragé. Dès le matin, il quittait la maison et on ne le revoyait qu’aux heures des repas, qu’il ait pris quelque chose ou qu’il soit rentré bredouille. Le garde qui avait la responsabilité de la tenue de l’aquarium avait l’autorisation de pêcher par tous temps et tous moyens pour alimenter ses vitrines. Celles-ci en effet avaient tendance à se dégarnir de certaines espèces de poissons du lac. Souvent nous l’accompagnions lorsqu’il allait pêcher à l’épervier, par exemple dans le Sierroz pour attraper des bancs de hotus, très importants parfois dans les trous d’eau, ou prendre des vandoises, blageons et autres dans la Leysse. D’autres fois, nous allions relever les grands tramails du côté de la route de Chambéry pour piéger perches, brèmes, parfois gardons rouges.

Autant les vitrines de salmonides (truites communes, truites arc-en-ciel, truites albinos venues de l’établissement de pisciculture de Thonon, saumons de fontaine, ombles chevaliers) ne posaient pratiquement pas de problèmes habitués qu’ils étaient à l’eau froide pompée dans le lac à 23 mètres de profondeur, autant les cyprinidés et poissons d’étang souffraient de la basse température et étaient sensibles à des infestations de leurs branchies par des protozoaires ou à des mycoses sur des surfaces du corps dépourvues de mucus lors de la pêche.  Dans cette catégorie, les brochets souffraient du froid et duraient peu. Un dimanche, alors que le dernier des brochets avait péri, il fallut recourir à une solution d’urgence. Profitant de ce que ce carnassier reste à l’affut sans bouger, le cadavre fut lesté d’un plomb pour tenir droit au fond de l’eau et artistiquement disposé derrière un vase de plantes aquatiques qui ne laissait apercevoir que la mâchoire et la queue. Ce n’est que le lendemain que le garde put remplacer le poisson défunt.

Mon père avait innové en disposant au centre de l’aquarium une série de bacs qui permettaient de présenter des poissons de petites tailles (goujons, ablettes, blennies-cagnettes, loches, vairons mais aussi écrevisses à pieds blancs, écrevisses à pieds rouges, tritons, salamandres...

Il avait aussi innové en présentant des lavarets vivants ce qui n’avait jamais été fait. Nous partions au début de la saison à Brison-les-Oliviers où les pêcheurs à la senne avaient leur établissement et, très tôt le matin, nous attendions qu’ils remontent leurs filets. Nous transvasions immédiatement les poissons dans des bacs munis de diffuseurs d’oxygène. Ces précautions n’empêchaient pas la mort d’un certain pourcentage de poissons qui, remontés trop vite des profondeurs par les pêcheurs, n’avaient pas eu le temps de dégonfler leur vessie natatoire et périssaient sans avoir retrouvé leur équilibre. En revanche, les survivants offraient un spectacle superbe dans les vitrines car ils ne cessaient de nager et de mettre en lumière leur robe argentée.

Il en était de même avec des ombles chevaliers dont une pisciculture des environs d’Annecy avait entrepris de faire l’élevage. A l’époque, l’expérience était nouvelle et les jeunes poissons qui n’avaient que deux ans avaient une robe gris clair peu tachetée et affichaient une silhouette plus mince que les autres salmonides.

Tout aussi élégants étaient les ombres que mon père se procurait dans l’Ain à l’Abergement de Varey. Avec leur nageoire dorsale violine déployée, ces nageurs étaient également une très belle attraction de l’aquarium.

Quand une vitrine tendait à se vider, mon frère et moi étions parfois mis à contribution en vue de la réapprovisionner. Cela  n’était possible que pour certaines espèces du lac. De la digue, il nous était possible de pêcher et de ramener vivants dans des seaux de toile gardons rouges et gardons blancs qui abondaient dans les herbiers et qui résistaient assez bien au transvasement. Parfois, surtout les jours où la tempête avait remué les fonds nous allions sur un ponton le long du quai entre le Petit port et le Grand port pêcher les brèmes aux coquillettes. Le poisson se défend peu et nous en tirions des spécimens de grande taille, impressionnants à sortir de l’eau.

Mais le plus intéressant était la pêche à la perche en eau profonde. Nous allions à la rame jusqu’au milieu du lac et déployons trois lignes plombées équipées chacune d’une vingtaine de biberons. Nous attrapions souvent de beaux exemplaires proches du kilo et qu’il n’était pas trop difficile de ramener vivants dans un grand vivier de métal galvanisé.

Certains après-midis de pluie, nous donnions aussi, mon frère et moi, un coup de main en tenant la caisse de l’aquarium, en alternance avec la fille du garde, Josette. Je crois me souvenir que le prix de l’entrée était fixé à 20 F, ce qui correspondrait aujourd’hui à 3 centimes d’euro... Les bons jours étaient ceux de grand vent où les touristes ne pouvaient se hasarder sur le lac et trompaient leur ennui en visitant l’aquarium. Les réflexions du public étaient parfois ingénues et nous avions acquis une connaissance suffisante pour pouvoir faire des réponses appropriées aux questions parfois saugrenues qui nous étaient posées.

D’autres fois, nous remontions le cours du Thillet, ruisseau qui se jette dans le lac au Petit-Port, pour aller capturer à l’aide de bouteilles des vairons... Ou bien, sur la rive rocheuse du lac, du côté de Haitecombe, nous faisons la chasse aux blennies-cagnettes qui se cachaient dans les graviers des minuscules plages.

Pour moi, l’alimentation de l’aquarium était une véritable aubaine. Ainsi, nous allions au lac d’Aiguebelette pour chercher des perches-soleil, ou bien au bout du canal de Savières pour nous procurer auprès de pêcheurs professionnels du Rhône les barbeaux qu’ils attrapaient au filet ou à la nasse. Et nous accompagnions le garde lorsqu’il allait dans les marais du Bourget ou en Chautagne relever les nasses où il avait pris brochets et anguilles... Nous suivions aussi mon père chez les pêcheurs du Rhône qui dans les délaissés ou dans le fleuve se procuraient de magnifiques barbeaux. Une fois, nous étions allés dans les Dombes. Ce jour-là, l’ami de mon père qui nous recevait ne put se retenir de pleurer en nous voyant mon frère et moi. Il venait de perdre ses deux fils qui s’étaient tués en montagne quelques jours plus tôt.

Il y avait cependant beaucoup d’autres activités. Je profitais chaque année du stage que mon père organisait durant trois semaines pour un groupe d’élèves de l’Ecole forestière afin de les initier à l’hydrobiologie. Je les accompagnais fréquemment. Nous partions pour la journée en vue de faire des prélèvements d’eau dans quelque lac de montagne, des pêches de plancton avec, en supplément, des observations de type botanique. Le produit de chacune de ces journées déversé dans des cristallisoirs faisait ensuite l’objet de travaux pratiques que je suivais de plus ou moins près.

Afin de rentabiliser scientifiquement les équipements du laboratoire, mon père recevait régulièrement des collègues chercheurs, parmi lesquels un professeur de botanique de la faculté de pharmacie de Nancy, Robert Franquet et sa femme Lily, également botaniste spécialisée dans les lichens et, si je me souviens bien, également fille de botaniste. Ils venaient tous deux chaque été environ pendant trois semaines et herborisaient dans la région, faisant subir toutes sortes de transformations aux produits de leur récoltes pour en extraire les composants chimiques. Cela nous donnait l’occasion d’aller rendre visite à la famille Emberger qui possédait un chalet à Saint-Sulpice non loin de Chambéry et c’est ainsi que j’ai connu ce grand botaniste de Montpellier que je devais retrouver beaucoup plus tard en 1968 lors d’une conférence à l’Unesco.

Les algologues faisaient évidemment aussi partie des visiteurs de chaque été, notamment Pierre Bourelly et sa femme, M. Manguin et la sienne, avec lesquels nous avons passés des moments extraordinaires non seulement de science mais aussi d’amitié. M. Manguin était responsable des serres du Muséum. Je me souviens d’être allé déjeuner chez lui un dimanche et d’avoir eu droit à une visite privée...avec toutes les explications botaniques... et même une photo de moi dans la serre désertique, aussi guindé que si j’avais été assis sur un cactus…

Dans cet environnement, il y avait aussi les oiseaux du lac. Nous en voyions beaucoup. Le garde avait notamment ramassé sur la rive ouest un petit milan noir qui était tombé du nid et qu’il avait à moitié apprivoisé. L’oiseau faisait toutes sortes de contorsions quand on s’approchait de lui et il écoutait avec beaucoup d’attention la conversation quand on s’adressait à lui. Nous eûmes aussi en pension des mouettes qui avaient été blessées. L’aquarium possédait à l’entrée des vitrines avec des oiseaux du lac empaillés parmi lesquels je me rappelle un très beau canard siffleur huppé et des bocaux conservant dans l’alcool des poissons du lac disparus comme les lamproies, et, si mes souvenirs sont bons, quelques serpents. Il y avait également quelques poteries néolithiques trouvées non loin du bord le long de la route de Chambéry.

Outre les petits lacs de montagne, nous explorions aussi les torrents. Le Chéran recevait chaque année notre visite. La faune d’insectes vivant dans l’eau ou à son contact était explorée, phryganes et autres éphémères compris. Nous remontions jusqu’à Lescheraines où l’on trouvait à l’époque dans la forêt des cyclamens.

Nous y retrouvions des cousins germains de mon père venus des Aillons. Pendant longtemps, ils eurent une Citroën datant des années 1925, jaune paille et à l’arrière en cul-de-poule. Elle répondait au nom de Zoé et avait depuis longtemps mérité de partir en retraite. Même dans les années 50, elle faisait sensation sur les routes... Le pittoresque de leurs voyages était accru par la peur panique qu’avait ma cousine au franchissement des ponts, plus encore quand ils étaient suspendus. Or il existait à Seyssel, sur leur itinéraire, un pont suspendu. Chaque fois, ma cousine descendait de voiture et traversait à pied laissant son mari prendre le risque horrible d’être englouti dans le Rhône avec Zoé. Le Chéran m’a rappelé cela car la scène était identique pour le franchissement du pont de l’Abyme. Chaque été, mes cousins venaient d’Aillon-le-Jeune où ils résidaient dans un hôtel appartenant à des parents Ginolin de ma cousine, pour nous voir à Aix-Les-Bains...

J’ai gardé un gout très vif pour la flore et la faune limnologiques et, durant les onze années passées chaque été à Aix-les-Bains, j’ai toujours eu grand plaisir à découvrir les particularités nouvelles de la vie aquatique, aussi bien dans ses aspects scientifiques que dans le charme particulier des milieux aquatiques. Je prends toujours le même plaisir à voir se promener paresseusement dans le canal de mon jardin les poissons rouges bariolés qui s’y prélassent et je trouve qu’un jardin sans eau dormante, courante ou jaillissante et sans faune aquatique n’est tout simplement pas un jardin.

Récemment, chez un antiquaire parisien, je voyais un petit tableau représentant vers 1929 le petit lac de montagne de Tignes. Qu’il était charmant et qu’il a été massacré, salopé et dégueulassé par un tourisme de montagne imbécile et criminel, il n’y a pas d’autre mots, alors qu’autrefois, il n’y avait tout au fond du paysage qu’un chalet à-demi écroulé dans lequel un vieux berger nous offrait un café quand nous avions passé la journée à prendre des mesures d’eau ou à pêcher du plancton… Dans les années cinquante, il n’y avait déjà plus d’édelweiss alors que le garde de mon père affirmait qu’elles étaient encore très abondantes une vingtaine d’années auparavant. J’ai pu aussi me procurer un petit tableau qui représente le lac du Bourget, vu de la Chambotte et datant à peu près de la même période.

Hubert JOLY, le 21 juin 2011

Truite Arc-en-ciel, une des espèces présente à l'aquarium