Hubert Joly


MANIFESTE POUR L’AVENIR DE LA VILLE DE NANCY

Hubert JOLY


Date de parution : 03/12/2009
ISBN :
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 Analyse historique nécessaire 

Avec une population de 107 000 habitants en 2008, la ville de Nancy possède une histoire plus de huit fois centenaire.

A l’origine, petit poste militaire, situé au goulet d’étranglement limité par la vallée de la Meurthe et par la falaise du plateau de Haye, sur une pente douce exposée à l’est, Nancy n’est née, ni sur un grand axe de communication, ni sur une route commerciale et son développement, relativement lent et tardif au XIIIe siècle, demeure marginal par rapport aux trois évêchés que sont Metz, Toul et Verdun situés sur le Moselle et la Meuse, rivières et vallées plus navigables et/ou plus flottables que la Meurthe et déjà riches d’histoire à l’époque gallo-romaine. Tout au plus, l’existence du cimetière du Vieil-Aître témoigne-t-il d’une implantation mérovingienne au nord de l’actuelle gare SNCF. Mais il ne semble pas que des historiens-démographes se soient hasardés à chiffrer un effectif d’habitants à partir des tombes mises au jour.

Le Moyen-Âge 

Paradoxalement, c’est sans doute cette absence d’histoire qui fera choisir Nancy par les ducs, princes aux moyens relativement modestes, ceux-ci n’ayant pas à redouter de conflit avec les puissants évêques des trois villes épiscopales..

C’est donc une volonté d’indépendance politique qui assurera le premier développement de la ville, plus que l’éminence d’une position stratégique ou d’une carrefour de grandes routes commerciales. L’implantation des églises des villages autour du site de la ville jusqu’à la première moitié du XIe siècle, à la seule exception d’une église Saint-Dizier, église mère de la cité mais dont la date de fondation ne semble pas attestée…Certes, les sources historiques mentionnent bien l’existence d’un châtelain nommé Olri à Nancy en 1061, la construction d’une église, dédiée à Notre-Dame de Molesme entre 1080 et 1100 à proximité du château (il ne semble pas qu’on en ait retrouvé les fondations), ces édifices se situant dans l’actuelle rue La Fayette, près de la rue de la Monnaie, dominant le site actuel de la Ville-Vieille. Les implantations monastiques encerclent peu à peu Nancy au XIIe siècle, en particulier avec l’installation des Cisterciens à Clairlieue et l’extension progressive de leurs terres en direction de Nancy.  En outre, progressivement, les séjours des ducs se déplaceront de leur château de Prény à celui de Nancy, témoignant de la plus grande attraction de la bourgade que leur occupation renforcera, notamment lorsqu’ils appelleront les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à établir leur Commanderie à proximité de l’ancien cimetière mérovingien…Enfin, dès avant 1145, la présence d’une église paroissiale dédiée à Saint-Evre est attestée. Un atelier monétaire existant en 1164 prouve que la fonction commerciale de la ville a commencé à s’affirmer.

Un coup d’arrêt est cependant donné au lent essor de Nancy lors du conflit surgi entre le duc de Lorraine, Thiébault, et l’empereur Frédéric II. En 1218, ce dernier fait piller et incendier la ville. Le jeune duc au pouvoir est emmené en Allemagne  ; il n’en reviendra qu’en 1219 pour mourir de façon suspecte en 1220…

Une certaine reprise se dessine au XIIIe siècle avec l’installation des Lombards signalés en 1278 et celle des Juifs en 1286. A la fin du XIIIe siècle, la ville est devenue la petite métropole d’un polygone dont les points forts sont Gondreville, Amance, Saint-Nicolas-de-Port et Gerbéviller. Une trentaine de villages sont sous la dépendance de la capitale des ducs.

En 1336, le nouvel hôpital Saint-Julien est fondé. Un collège d’échevins existe à cette époque. De cette époque date aussi la collégiale Saint-Georges construite à côté du nouveau château ducal, ainsi que la porte de la Craffe renforcée par deux tours en 1463. Le mariage de la fille du duc Charles II en 1430 avec l’héritier du conté de Bar René d’Anjou, suivi de la mort du duc quelques mois plus tard,  réunissait sous une même couronne Bar et Lorraine et donne naissance à un véritable petit Etat. Devenu en 1535 duc d’Anjou, comte de Provence, roi de Naples et de Sicile, le nouveau souverain confère une dimension internationale à Nancy, quatre années après le martyre de Jeanne d’Arc. Le séjour de Charles VII, du 20 septembre 1444 à la fin avril 1445, avec l’officialisation de la liaison du roi avec Agnès Sorel, la première ordonnance de création d’une armée régulière, au milieu des fêtes et réjouissances conforte la position du duc qui luttait déjà contre les entreprises de la maison de Bourgogne. Celui qui devait devenir le « Bon roi René » des Provençaux quitte Nancy avec Charles VII pour ne jamais y revenir.

Après la mort du fils du roi René, Jean de Calabre et de son petit-fils Nicolas en 1473, c’est à un autre petit-fils qui prit le nom de René II, âgé de 22ans que devait échoir la couronne ducale, mais aussi les ennuis avec l’ambitieux duc de Bourgogne qui voulait réunir ses possessions des Flandres à celles de Bourgogne et installer sa nouvelle capitale à Nancy qui serait devenue le centre de ses Etats.

Mettant brusquement le siège devant Nancy, le 24 octobre 1475, Charles Le Téméraire pénètre dans la ville le 30 novembre. Toutefois les deux défaites consécutives du duc à Grandson et Morat en 1476 bouleversent l’équilibre des forces et permettent à René II de reconquérir la province et de libérer la ville le 6 octobre 1476.  Le duc de Bourgogne accouru investit à nouveau la ville le 22 octobre et lui impose un siège très dur qui oblige les habitants à manger rats et souris. Le 5 janvier 1477, revenu avec des secours, René II inflige à son adversaire une défaite totale au cours de laquelle le Grand Duc d’Occident trouve la mort.

Son corps retrouvé sur les bords de l’étang Saint-Jean, la tête fendue, dépouillé et à demi-rongé par les loups sera exposé dans la grand rue puis déposé dans une maison transformée en chapelle ardente avant que René II ne fasse des funérailles solennelles à son ennemi.

La bataille de Nancy fonde pour ainsi dire le patriotisme lorrain renforcé par les vexations et souffrances de l’occupation bourguignonne et, vingt-cinq ans avant la découverte de l’Amérique, scelle pour les Lorrains la fin du Moyen-Âge.

Un premier âge d’or – 1478-1608 

Dès lors, le bourgade qui ne comptait guère que 3500 habitants à l’avènement du jeune duc René II, connaitra une expansion dont on peut dire qu’elle est « le fait des princes ». Il faudra attendre la fin du siècle pour qu’un pont soit enfin construit sur la Meurthe à Malzéville. L’occupation des Trois évêchés et leur annexion par la couronne de France en 1552 accroit pour le duc de Lorraine l’importance de sa place de Nancy.

Sous les règnes du duc Antoine, de Chrétiennne de Danemark, veuve de François Ier, puis de son fils Charles III mort en 1608, et enfin de Henri II la Lorraine connaitra une exceptionnelle période de prospérité en dépit des difficultés rencontrées lors du conflit entre Henri II et Charles Quint. L’influence italienne, déjà présente se développe, renforcée par les souvenirs du royaume de Naples et de Sicile. Le souci des ducs de Lorraine de ne pas avoir à choisir entre le roi de France et l’empereur germanique, et qui les contraint à une dangereuse politique d’équilibre et d’alliances, les pousse à chercher du côté de l’Italie des modèles et des soutiens.

De cette époque date le palais ducal, l’ouverture de la Carrière qui devait peser plus tard si lourd dans le développement de l’urbanisme nancéien, ainsi que le mouvement qui poussera vers Florence ou Rome tant de jeunes lorrains.

La ville s’étend et le plan de La Ruelle en 1611 en rend compte fidèlement. Il revient à Charles III d’avoir engagé en 1588, sur les plans d’un ingénieur italien, Jeronimo Citoni, la fondation d’une Ville-Neuve dotée de fortifications indépendantes de celle qu’on appellera désormais la Ville-Vieille.

Après un lent démarrage, la Ville-Neuve se développe et occupe la trame des rues dans une enceinte conçue par un autre italien, Jean-Baptiste Stabili. Quatre ans après la mort du duc Henri II, elle atteint au dénombrement de 1628 l’effectif maximum de 16 000 habitants, ayant presque rejoint Metz qui en comptait alors environ 19 000.

C’était une des places fortes les plus belles et une ville pleine d’activités industrielles et commerciales comptant deux paroisses dans la Ville-Vieille et deux autres dans laVille-Neuve. Nombre d’ordres religieux s’étaient installés dans la ville (pas moins de 16 couvents entre 1590 et 1634), au point qu’on qualifiait Nancy de ville de moines…

Les épidémies et les malheurs de la guerre 1627-1697 

Dès le début du règne de Charles IV (1624-1675), les malheurs commencent à s’abattre sur la Lorraine. C’est d’abord la peste en 1627. Puis le maladroit soutien de Charles IV aux ennemis de Richelieu, d’abord la duchesse de Chevreuse puis Gaston d’Orléans. Enfin l’entrainement de la Lorraine dans le désastreux tourbillon de la guerre de Trente ans, durant laquelle Charles IV choisit malencontreusement le parti des impériaux. Aussi, dès 1633, Nancy subissait son premier siège et sa première capitulation le 20 septembre de la même année. Les duretés de l’occupation et la récurrence des épidémies eurent raison de la prospérité de la ville et dès 1645, la population de Nancy était tombée à environ 4 000 à 5 000 habitants soit presque le quart de 1628. Il faudra attendre 1720 pour que ces pertes soient compensées.

Les fortifications de la Ville-Neuve avaient été rasées en 1661, lorsque le duc put, en 1663, faire sa rentrée dans sa capitale ruinée. Un certain essor reprenait quand la France, préparant la guerre de Hollande, fit un coup de force et occupa Nancy par surprise fin aout 1670. Du coup, la ville redevenait une forteresse utile et les remparts furent remontés de 1672 à 1679. Ce n’est qu’après le traité de Ryswick de 1697 que ses Etats furent restitués au nouveau duc de Lorraine, Léopold mais avec, à la clé, une nouvelle démolition des remparts…

En 1702, la guerre de succession d’Espagne poussait Louis XIV à réoccuper une fois de plus une ville qui avait perdu toutes ses murailles. Pendant qu’on reconstruisait les remparts au bénéfice de l’occupant français, le duc s’était réfugié à Lunéville, sans toutefois se désintéresser du sort de sa capitale. Et, cette fois, la présence française fut moins dure et un certain essor monumental, architectural et religieux permit à la ville de se doter d’édifices de qualité.

La mort de Léopold, survenue en 1729, suivie du début de la guerre de Succession de Pologne en 1733, fut l’occasion pour les Français d’occuper Nancy une quatrième fois. C’est alors que fut mise sur pied la combinaison qui, donnant la Toscane au duc François III, libérait la Lorraine pour le beau-père de Louis XV, Stanislas, chassé de son trône de Pologne.

Stanislas le bienfaisant

Plutôt mal accueilli par les Lorrains en 1737, Stanislas sut se montrer à la fois philosophe et mécène. Renonçant sagement aux chimères du royaume polonais, il décida de combler le vide qui subsistait entre la Ville-Vieille et la Ville-Neuve et mit personnellement la main aux plans d’édification de la nouvelle place royale, de l’arc de triomphe et du palais de l’intendant, orné d’un hémicycle. La reconstruction de l’église Notre-Dame de Bonsecours apporta une nouvelle contribution à l’art religieux.

Trente années de paix et d’expansion devaient porter à 27 000 le nombre des habitants lors de la mort de Stanislas survenue en 1766.

La Lorraine fut intégrée sans soubresauts dans le royaume de France dont elle suivit les destinées.
 

La Révolution, l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, le Second empire

Devenue simple ville de province, Nancy passe au travers de ces périodes sans faire parler d’elle. Pour ce qui nous intéresse, notons l’arrivée en 1852 du chemin de fer avec l’achèvement de la jonction Commercy-Nancy, le même jour que celui de la dernière écluse du canal de la Marne au Rhin qui joueront un si grand rôle dans l’urbanisme de la ville. En 1854, une faculté des Lettres et une faculté des Sciences sont créées. En 1864, celle de Droit et en 1872, celle de médecine. A partir de 1850, le palais ducal commence à être restauré et le Musée lorrain est créé.

Le désastre de 1870 

Sans fortifications, Nancy est prise dès le 12 aout 1870 sans combat. Dès 1871, l’annexion de l’Alsace-Lorraine en fait une ville frontière. Son destin change alors une fois de plus et elle accueille nombre d’Alsaciens-Lorrains venus des départements annexés.

De 1871 à 1913, la population passe de 50 000 habitants à 120 000, dont environ 10 000 émigrés et autant de militaires. Une impulsion considérable est donnée à la ville qui se développe au-delà du chemin de fer et connaît un mouvement artistique important dont Gallé, Daum, Majorelle sont les heureux initiateurs.

La ville connaît alors une urbanisation quelque peu débridée dans laquelle la municipalité tente de mettre de l’ordre.

Depuis 1918 

La victoire de 1918 et la récupération de l’Alsace-Lorraine enlèvent à Nancy son rôle de ville frontière. Son dynamisme remarquable tend à s’estomper et peu à peu, l’innovation qui avait caractérisé les années 1890-1904 fait place à une activité plus réduite. La seconde guerre mondiale saura, comme la première, l’épargner mais quelque chose des élans passés est brisé. Nancy se fera arracher le siège de la Région, l’autoroute de l’est privilégiera Reims, Châlons, Metz, la nationale 4 n’est toujours pas mise à quatre voies, la crise de la sidérurgie pèsera lourdement sur le département. La prochaine réalisation de l’axe fluvial Seine-Nord risque de marginaliser l’axe mosellan et de transformer en pissette le canal de la Marne au Rhin. L’aéroport régional est à Pont-à-Mousson, marginalisant Essey.

La belle endormie 

Après avoir atteint, au plus haut 130 000 habitants en 1962, la ville décline peu à peu et se maintient difficilement autour de 100 000 habitants. C’est son agglomération qui continue à s’étendre, au reste dans une certaine anarchie. Le quartier Saint-Sébastien et la place Thiers font l’objet d’opérations architecturales d’une insigne médiocrité pour ne pas dire d’une grande laideur. Alors que Metz retrouve une énergie nouvelle, Nancy donne l’impression de s’assoupir. Des projets comme le Trésor de la langue française n’ont pas réussi à trouver leur second souffle, L’Institut commercial s’est enlisé dans des querelles de personnes au point de passer du 4e au 20e rang des écoles de commerce de France, les écoles d’ingénieurs vivent mais sans étincelles, l’Ecole des eaux et Forêts est sucée de Paris par celle du Génie rural qui devient le GREF, ce qui reste de la sidérurgie voit ses centres de décisions passer aux mains des multinationales, de même que des fleurons comme Daum ou Baccarat.

La rénovation de la place Stanislas et l’agrandissement du musée des Beaux-arts et les efforts de la municipalité ne réussissent pas à redonner un vrai dynamisme à la ville. Elle est sans doute une des villes de France où le prix du mètre carré bâti aura le moins augmenté et elle n’aura gagné qu’une extension anarchique de ses banlieues qui escaladent le plateau ou viennent buter sur les agglomérations paupérisées de l’ancienne sidérurgie à Frouard ou Pompey. Elle aura peu profité du développement économique des trente glorieuses et pas davantage des années 2 000- 2007.

Réveiller la Belle-au-Bois-Dormant. 

Si l’historique qui précède peut paraître long, c’est qu’il comporte de nombreux éléments susceptibles de fonder les orientations de demain.

Un pays ne peut avoir que la politique de sa géographie dit-on justement.

Faute de disposer d’une géographie très favorable sur de grandes lignes de communications, Nancy a dû se contenter de la politique de son histoire, parfois même de celle que l’Histoire lui a imposée.

Par quatre fois, avec les ducs René II, Charles III, Léopold puis Stanislas dont les règnes ont duré trente ans ou plus, elle a connu, à la faveur de la stabilité et de gouvernements éclairés, des périodes brillantes, favorisées par le caractère travailleur et industrieux de ses habitants. Elle a bénéficié de son statut de ville frontière entre 1870 et 1914. Mais elle a toujours souffert de ce que le duché, très tôt soumis à la pression du royaume de France et considéré comme terre d’Empire par les Habsbourg, a plutôt été le jouet des rivalités entre ces deux puissances que l’artisan de son propre destin. Manteau d’Arlequin relevant de deux suzerainetés pour la Lorraine et le Barrois, troué au niveau des Trois évêchés, elle posait à son duc plus de problèmes qu’il n’avait les moyens d’en résoudre. Elle a alors tiré une partie de son éclat des symbioses qu’elle a su opérer avec l’Italie, dont on voit combien les artistes et les ingénieurs lui ont apporté.

Aujourd’hui, au début du troisième millénaire, Nancy n’est qu’une grande ville moyenne d’une France qui ne réussit pas à assumer toute sa fonction de pays fondateur de l’Europe et bégaie devant son destin.

Pas spécialement bien placée, en tout cas moins bien que Metz et Strasbourg dans la compétition européenne, ne pouvant espérer beaucoup des élargissements avec l’Europe de l’Est du côté de la géographie économique, Nancy peut-elle tirer parti de son histoire florentine et romaine, ou des anciens liens dynastiques avec la Pologne ou l’Autriche ? Le fait que la Meuse et la Moselle la conduisent au coeur de l’Allemagne rhénane et de la Wallonie lui donnent-elles des chances en cas d’explosion de la Belgique et d’un rattachement éventuelle de la Wallonie ? Peut-on regarder plus loin, au-delà de la mer, et capitaliser par exemple sur l’aventure marocaine de Lyautey pour élargir l’horizon à un continent africain qui va connaître de profonds bouleversements ? Que lui reste-t-il en propre sur quoi fonder son avenir ?

Ce qui est sur est que nul ne se souciera de l’avenir de Nancy si ce ne sont pas les Nancéiens conscients qui assument le destin de leur ville et l’organisent avec énergie et, cela à quatre niveaux : revitaliser la ville, rallier les forces des départements de la Meuse et des Vosges pour éviter qu’en cas de réforme administrative et d’une éventuelle suppression de l’échelon départemental, leurs forces ne bénéficient qu’à la capitale régionale, affirmer son rôle de capitale du duché en France par son dynamisme et son innovation, se créer une présence et une personnalité en Europe.

Refonder un cœur de ville à la faveur de l’effet TGV

Le présent document, essentiellement provisoire, se limitera dans l’état actuel à examiner certains aspects de revitalisation de la cité.

Si l’on réunit par une ligne les deux points historiques à partir desquels la ville initiale s’est développée, le château d’une part et le quartier du Vieil-Aître d’autre part, on constate que le centre de cette ligne se situe au niveau de la gare actuelle.

Si la ligne de chemin de fer était totalement excentrée par rapport à la ville au moment de la construction, elle est maintenant située en son cœur et constitue par sa tranchée ou ses talus, une barrière difficilement franchie par quelques passages insuffisants en ponts ou en souterrains. Sa saignée constitue un espace laid, stérile, et qui est loin d’offrir un lieu de promenade et de détente comme le ferait une rivière.

Mais l’arrivée du TGV, à cet endroit, bouleverse la relation temps avec Paris et Strasbourg mais apparemment pas avec Toul, Bar-le-Duc, Lunéville ou Metz. En temps, Paris n’est pas plus long à atteindre que Bar-Le-Duc. Cette modification des échelles de temps et de distance invite à reconsidérer la fonction du point d’arrivée et des plusieurs hectares qui l’entourent.

La valeur stratégique de ce point est accrue lorsqu’on fait l’analyse du dynamisme de la région Lorraine.

Les études montrent en effet que la croix de lorraine économique dessinée par l’axe nord-sud Epinal-Thionville passant par les deux nœuds de Nancy et de Metz et recoupé par deux bras parallèles Bar-Le-Duc-Commercy-Toul-Lunéville-Sarrebourg d’une part et Verdun-Saint-Avold-Sarreguemines d’autre part, tend à s’affaiblir et à se réduire à un axe nord-sud avec des tendances centrifuges au nord vers l’Alsace notamment et un affaiblissement des zones de Bar-Le-Duc et Verdun. L’ouest et le sud de la Lorraine, c’est-à-dire les régions traditionnellement sous l’influence de Nancy pèsent de moins en moins lourd dans la région, ce qui risque de gêner le futur développement de Nancy.

Sur les vingt dernières année, le dynamisme de la région Metz-Sarreguemines est supérieur à celui de la région nancéienne. Le TGV ne passe pas par Bar-Le-Duc, Commercy ni Toul pour arriver à Nancy, ce qui risque de réduire encore les liens de ces villes avec la métropole lorraine.

Il convient donc que ce soit Nancy qui fasse l’effort, d’une part, en se dotant d’un poids spécifique plus fort qui créera une attraction de Newton à son profit, et, d’autre part, en  acceptant de prendre en charge son poids de la nécessaire redynamisation des régions sud et ouest de la Lorraine. A cet égard, la liaison ferrée de Bar-Le-Duc à Lunéville conserve une importance stratégique pour Nancy, et elle doit être, autant que faire se peut, être améliorée. Dans une semblable mesure, ce qui est dit des liaisons ferroviaires est aussi valable pour les liaisons autoroutières et les voies navigables. 

On sait que Nancy a toujours été une ville peu industrielle, qu’elle est aujourd’hui surtout spécialisée dans la recherche et l’information, alors que Metz, de façon complémentaire, est mieux dotée dans les transports ou l’industrie. Dans la mesure où les secteurs primaire et secondaire de l’économie sont moins porteurs que naguère, plus riche en emplois tertiaires que sa voisine, Nancy peut espérer tirer un meilleur avantage de cette évolution.

D’une part, Nancy doit reconquérir des centres de décision qui lui soient propres si elle ne veut pas être que l’enjeu de centres de décision extérieurs.

D’autre part, Nancy doit se constituer un pôle d’attraction et d’action aux dimensions du monde moderne.

Quelques actions peuvent contribuer à renforcer la vitalité de notre capitale autour de ce point focal qu’est l’espace ferroviaire.

Or, peu de villes de France possèdent la chance  de disposer de plusieurs hectares de voies ferrées qui permettent, à condition de les couvrir intelligemment, d’affecter au développement  de la cité des espaces nouveaux créés au-dessus des voies ? En profitant de ce qu’elles sont en tranchée, ce qui jusqu’à ce jour était un inconvénient du fait de la coupure induite, il est possible d’exploiter cette situation pour les couvrir et réunir le quartier Saint-Sébastien et le quartier de la Croix-de-Bourgogne isolés l’un de l’autre depuis 150 ans et donner une nouvelle fonction à ce cœur de ville en le dotant des équipements publics et privés qui font défaut à Nancy. On voit bien comment Lyon a pu dynamiser son quartier de La Part-Dieu en exploitant la nouvelle station du TGV. Quel avantage pour les hommes d’affaires et les voyageurs descendant du train, de trouver, sans avoir besoin d’un moyen de transport, les infrastructures d’une ville moderne : hôtel pourvu d’un forum (mieux que l’Ibis vieilli) et d’un centre de conférences ainsi que les facilités bancaires et commerciales correspondantes !

La SNCF serait associée à l’opération de reconquête pour qu’elle puisse elle-même en tirer parti en monnayant une co-utilisation de ses terrains qui, aujourd’hui, ne lui rapportent rien. Le coût de mobilisation des espaces et l’édification d’une dalle couvrant les voies au moins entre la rue du Mont-Désert et l’avenue Foch, la restructuration des espaces hors voies libèrerait des mètres carrés qui ne sont nulle part ailleurs disponibles et qui surtout occupent une place absolument stratégique.

Quels sont les multiples avantages de l’opération ?

  • 1) Adapter la modernité du cœur de ville nouveau à celle apportée par le TGV.
  • 2) Obtenir d’un espace permettant de fournir à Nancy les édifices qui manquent à une capitale régionale, comme un centre de congrès moderne doublé d’un hôtel de qualité.
  • 3) Créer d’un nouveau lien entre le quartier Saint Jean-Saint Sébastien et le quartier Jeanne d’Arc-Croix de Bourgogne.
  • Prolongation de l’espace piéton de la rue Saint Jean et/ou d’autres rues du quartier Saint Sébastien jusqu’à la Croix de Bourgogne.
  • Mise en valeur de ce point emblématique de l’histoire de la ville.
  • 4) Obtenir des espaces pour créer des bâtiments mixtes bureaux-logements dotés de la HQE
  • 5) Créer d’une zone architecturale rappelant dans ses bâtiments que Nancy a été ville du fer, du sel, du verre et de la forêt, mais aussi ville rocaille et ville de l’Art nouveau par l’école de Nancy
  • 6) Faute de pouvoir utiliser les énergies éolienne et solaire pour lesquelles Nancy n’est pas particulièrement bien dotée, et compte tenu de ce que Nancy bat souvent les records de froid avec Clermont-Ferrand ou Langres, exploiter les méthodes canadiennes des cheminements, passages et autres abris sous verrières à l’image de ce que savent faire les Québécois à Montréal notamment.
  • 7) Exploiter la tradition urbaine nancéienne qui privilégie les enchainements de places pour garder le lien avec l’urbanisme historique par une succession de cheminements piétons architecturés.
  • 8) Saisir l’occasion pour créer au-dessus des voies de la gare de marchandises un marché gare pour suppléer à l’engorgement de la halle de la place Mangin.

Disposer d’un nombre de mètres carrés constructibles suffisant pour préparer les destruction future des quatre tours médiocres du quartier Saint-Sébastien ainsi que de l’hôtel Ibis et les remplacer par des bâtiments s’inscrivant dans la nouvelle trame et la nouvelle esthétique.

Donner à ce nouveau quartier une identité architecturale aussi forte que celles du XVIIIe siècle et que celle de l’Art nouveau en sachant combiner tradition, rupture et qualité environnementale. Il faut donner une nouvelle image architecturale après le misérabilisme qui a caractérisé les boites immobilières Saint-Sébastien, l’hôtel Ibis ou les locaux du Conseil général qui ont ruiné l’harmonie des façades de la rue Lyautey et de la rue Sainte Catherine. Des concours doivent être organisés pour définir ce style puisque de toute façon l’opération s’échelonnerait sans doute sur plus de dix années.

A cette occasion, stimuler la créativité à tous les niveaux en profitant de ce que la réalisation d’un programme en plein centre de ville serait certainement générateur d’emplois directs et engendrerait encore plus d’emplois indirects.

Il m’a été dit que jusqu’à présent l’urbanisme sur dalle n’était pas une réussite.

Cet argument qui n’était pas étayé ne me parait pas recevable en regard des avantages que l’on pourrait tirer de la cicatrisation de la plaie causée involontairement et a posteriori par le tracé du chemin de fer dans Nancy. Il appartient aux architectes de résoudre ces éventuelles difficultés. Dans le passé, Stanislas et Héré ont su trouver la soudure et la synthèse entre la Ville-Vieille et la Ville-Neuve et ils l’ont fait en dotant la ville d’un des plus beaux ensembles architecturaux de l’Europe du XVIIIe siècle.

C’est une opération semblable de soudure (ou de couture, comme on voudra) qu’il faut concevoir et mettre en œuvre. Après ce qui a été fait du côté du canal et de la Meurthe, il faut assumer une ambition plus vaste.

Quand on voit le dynamisme, non pas seulement des villes de Chine mais de nombreux pays du Tiers-Monde, on est saisi de frayeur en voyant l’apparence d’immobilisme de nos villes européennes.

Sans doute, le bétonnage n’est pas la panacée. Mais, là, sur l’étendue des voies ferrées, Nancy dispose d’un espace stratégique unique qu’on ne peut laisser dormir et dont la mise en valeur, à elle seule, démontrerait le dynamisme retrouvé de la ville et sa volonté de ne pas s’abandonner à un destin subalterne en Lorraine ou en Europe. L’argent existe toujours pour des projets bien conçus. On peut le trouver si l’on sait démontrer les profits que l’économie nancéienne peut tirer de la création d’un nouveau cœur deville.

Faute de moyens, les projets actuels qui ignorent ces possibilités et se contentent de rectifications à la marge de l’espace voisin de la gare, comme le petit triangle vert par exemple, ne sont pas à la hauteur des enjeux de la capitale de la Lorraine. Ils doivent être revus à la lumière d’un plan d’ensemble plus vaste et du pôle d’attraction que ce site doit constituer. Nous n’avons pas le choix car il n’existe pas d’autre site présentant autant d’avantages tant matériels que sociologiques ? Alors pourquoi attendre pour lancer les études ?

On ne demande pas que la ville se jette tête baissée et sans financement dans ce grand projet. 

C’est au contraire l’occasion pour elle de prendre l’initiative d’un plan ambitieux à moyen terme et d’une grande consultation publique. Le projet que je soutiens n’est pas un ukase. Qu’il soit donc discuté dans toutes ses dimensions et, bien entendu, refondu, amendé, amélioré, transfiguré dans tous ses aspects, et soumis à tous ceux qui veulent une ville plus belle et plus riche. Qu’il soit pris en compte dans la planification à moyen terme de la cité et que tous les travaux entrepris dans cette zone soient conçus dans cette perspective.

Nous devons avoir, tous ensemble des ambitions à la hauteur de celles qu’on su avoir Charles III et Léopold ou Stanislas.

Ceux qui aiment cette ville au riche passé et veulent lui assurer un avenir, considèreront comme une occasion manquée le fait de ne pas s’emparer de la chance qui nous est offerte.

Tels  sont les vœux que je formule pour la ville de Nancy, ses administrateurs et ses citoyens en ce début 2009.

Hubert JOLY

5 janvier 2009