Hubert Joly


VIVE LA PRINCESSE

Hubert Joly


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VIVE LA PRINCESSE !

Que la vie est singulière ! L’autre jour, entre deux séances d’un dictionnaire arabe français des sciences, je flânais dans Tunis lorsque mon attention fut attirée par la porte d’une brocante. Je pénétrai dans l’antre où moisissaient, écornés, quelques fragments dorés de sculptures tunisoises du temps des beys auxquelles personne ne semblait s’intéresser.

Sur une étagère bancale, croupissaient quelques romans policiers, quelques ouvrages juridiques en arabe, Le Roman de la momie de Théophile Gauthier. Sous la poudre des ans que je soufflai, je découvris un petit livret couvert d’une fine toile blanche, marquée au fer d’entrelacs encore un peu nacrés. Un filet doré s’entortillait sur le pourtour comme dans les faisceaux de licteurs. Je le reconnus tout de suite et m’en emparai comme d’un trésor. C’était ce fameux livre dont l’abominable président dit qu’il ne faut pas perdre son temps à le lire : La Princesse de Clèves.

Pour moi, ce petit livre avait une histoire : Je l’avais dévoré avec passion quand j’avais dix-sept ans et, au moment de partir pour mon service militaire en Algérie, j’en avais offert un exemplaire strictement identique à un ami. Et lui, en retour, prévoyant que mon séjour pourrait m’amener à voir d’étranges et troublantes choses m’avais donné L’Esprit des lois, ce qui, peut-être, m’a évité de mettre du sang sur mes mains. La nouvelle génération ferait-elle aujourd’hui de semblables présents ?
Dans l’avion qui me ramenait vers Paris à la tombée d’une nuit soulignée par la trainée écarlate du couchant, j’ouvris La Princesse avec un peu d’appréhension craignant de ne pas me laisser reprendre par la magie qui, cinquante ans plus tôt, m’avait charmé.

Dès les premières pages, je retrouvai non pas seulement la cour d’Henri II, à des années de lumière des souks de Tunis, mais, intacte comme au premier jour, la vive émotion que j’avais ressentie jadis, nourrie du contraste du temps présent que je venais de vivre ces derniers jours. Oui, c’était bien le même enchantement que je revivais et j’en étais troublé. J’étais à nouveau tout Nemours comme j’avais été naguère tout Fabrice. Ce n’est pas que j’eusse oublié Mme de Lafayette.… Avec une de mes petites filles, de soixante ans plus jeune que moi, il m’arrivait, pendant que nous prenions notre petit déjeuner et que toute la famille dormait encore, de l’appeler Mlle de Chartres tandis qu’elle, rentrant dans mon jeu, me rendait du Mr de Clèves. Je n’eusse pas dédaigné qu’elle eût poussé la charité jusqu’à me dire… Mr de Nemours mais, comme le dit mon pote La Rochefoucauld, le plus dangereux ridicule des barbons qui ont été aimables est d’oublier qu’ils ne le sont plus !

N’importe, je persiste et je signe en affirmant que ce roman qui fut le premier me parait encore le plus beau et que ni La Chartreuse, ni Le Diable au corps n’atteignent à sa prenante essence. Qu’il soit donc maudit ce politicien sous-médiocre qui aurait voulu nous priver de la Princesse de Clèves, qu’on lui interdise de gouverner la France et que le diable l’emporte loin des allées du pouvoir !

Hubert Joly 2015